Thibaut Hastey, perché sur son caillou !
J’ai rencontré Thibaut Hastey sur le Mont Saint-Michel, le lendemain de cette violente tempête en Normandie, en janvier dernier. Nous étions 8 ou 9 personnes frigorifiées, et plutôt impressionnées par le terrible vent qui persistait dehors. Thibaut, lui, restait imperturbable, nous parlant avec chaleur et passion de sa chère abbaye. Il est agent d’accueil et fait des visites commentées du Mont Saint-Michel depuis 2011.
Né à Avranches, c’est un gamin du coin. Le Mont Saint-Michel fait partie de sa vie depuis toujours. Le Mont, c’est 1300 ans d’Histoire de France, et surtout des prouesses techniques inouïes des bâtisseurs d’autrefois pour ériger l’archange Saint-Michel à 80 m de hauteur.
Thibaut se considère comme privilégié de travailler chaque jour dans un cadre aussi prestigieux. Sa passion nous transporte. Il nous raconte le Mont Tombe en 708 sur lequel l’Evêque Aubert fait élever le premier sanctuaire. Il nous fait vivre l’arrivée des premiers bénédictins en 966 grâce à Richard Ier, Duc de Normandie. Il nous dépeint ce qu’était ce centre de la culture médiévale où tous les pèlerins affluaient… Et puis, petit à petit, en traversant la nef, le cloître, la crypte, le réfectoire, les escaliers, les couloirs, la bibliothèque, nous voyageons à travers l’Histoire, les guerres, le rythme de la vie monacale…
Nous partageons tout : le moyen-âge, le Duc de Normandie, les rois, l’abbaye qui devient prison, puis à nouveau lieu de culte, la guerre 39-45 et aujourd’hui l’entretien de ce site exceptionnel qui en fait le premier monument touristique visité en Normandie, et l’un des 10 premiers en France. Des religieux officient toujours dans l’abbaye. D’ailleurs, pendant ce périple, quelques religieuses passent ici et là, comme des hallucinations du passé qui ressurgissent sans qu’on s’y attende.
L’abbaye prend sa gigantesque dimension de monument gothique flamboyant normand. Le vent qui hurle toujours nous donne l’impression de faire un bond dans le temps, et les anecdotes que nous racontent Thibaut nous y font croire. Il développe aussi les concepts architecturaux qui était alors une technologie incomparable, et qui ont été source d’inspiration pour les techniques actuelles du Bâtiment. Il y a aussi les explications militaires, les stratégies utilisées pour conserver un tel site qu’anglais et français se disputaient, et quand on se rappelle l’amour fratricide que nous avons partagé pendant tant de siècles.
Mais si je suis transportée dans le temps, certains sont bien curieux et dans le moment présent : un architecte pose des questions, une érudite en Histoire, un homme qui travaille avec les énergies… Thibaut répond, heureux d’être là. Son savoir est important, mais il reste modeste. J’ai même un peu la sensation qu’il nous fait visiter sa maison, tant il est à l’aise, qu’il aime ce lieu incroyable, qu’il l’aime vraiment. C’est un vrai bonheur un guide comme lui !
Pourtant, ce n’est ni l’histoire ni l’architecture qui sont sa formation. Il est titulaire d’une licence de langues étrangères. Il pratique l’espagnol couramment.
Sa première saison, c’était en 2011 quand il passait son CAPES d’espagnol. Il venait de passer un an à l’étranger en tant qu’assistant de langue. Les visites en espagnol sont très appréciées et très prisées par les touristes.
« Les visites commentées sont des moteurs, un échange avec les gens. Longtemps j’ai voulu être prof. J’aime la pédagogie. Je suis très bien sur mon caillou. Amener les gens à l’aimer, gagner l’émerveillement personnel. Ce n’est pas une transmission de renseignements mais un partage. Le public doit être réceptif pour une bonne visite. »
L’été, le monument est bondé en permanence car plus de 2,5 millions de visiteurs s’y rendent. Les visites sont plus sportives avec un groupe le matin, un l’après-midi, jusqu’à 90 personnes en même temps. Une à deux visites au quotidien qui demandent concentration et énergie.
Quand je lui demande quel est son pire souvenir, il me répond que ce ne sont pas les tempêtes qui ont un côté très théâtral ici, mais les visites catastrophiques où les gens ne s’intéressent pas toujours à ce qu’il explique, car il précise que rien n’est plus décevant que de ne rien apporter aux visiteurs.
« Par contre mon meilleur souvenir dit-il, c’est la première fois où j’ai pu monter au belvédère sous l’archange. Ça m’a fait quelque chose. C’est un privilège suprême de surplomber la baie ».
J’étais déçue que la visite soit terminée après 2 heures de balade à travers les siècles. Le vent redevenait violent et il commençait à faire très froid. Il fallait pourtant bien revenir à la réalité et laisser les moines Bénédictins du Moyen-âge entre leurs murs…