La légende de François Drageon
La légende de François Drageon dit de lui qu’il est un avocat féroce et très doué, un franc-maçon émérite et politicien à ses heures perdues. Mais ce qui est sûr et certain, c’est qu’il est un homme très controversé qui ne laisse personne indifférent. Le plus simple, était d’aller à sa rencontre et de lui poser la question directement : est-il, oui ou non, ce que dit sa légende ? C’est avec sourire, bienveillance et malice que François Drageon m’a répondu lors d’une interview.
Fascinant ? Il l’est ! Cultivé et brillant ? Aussi ! Féroce ? Il ne faut pas pousser. Mais il est dur, ça oui. Avocat ? Oui et même bien plus ! Politicien ? Ancien président du MEDEF pendant 3 ou 4 ans en Charente -Maritime, il a eu une vie politique locale qui lui laisse une opinion singulière sur ce milieu. Il ne renie pas ses convictions, mais c’est le passé. ! Cela ne l’empêche pas d’avoir des avis et de partager ses opinions avec ardeur. L’ardeur, François connaît. C’est la passion qui le fait avancer. Franc-maçon ? Aujourd’hui, seulement dans l’imaginaire collectif, mais aucunement dans la réalité.
Tout a commencé en 2006, avec la parution d’un papier dans l’Express « Les maçons en clair-obscur ». Il y était écrit « Dans la catégorie des professions libérales, François Drageon, un avocat en vue – il est notamment le défenseur du Medef et du Stade rochelais – est un maçon connu. ». Etant l’une des figures emblématiques rochelaises, cette petite phrase a fait mouche. Elle est devenue sa légende.
La réalité est bien plus simple : son père était l’un des Responsables de la Franc-maçonnerie nationale au Grand Orient de France. Il a été initié dans la loge de son père à 25 ans. Loge qu’il a quitté deux ans après. Quand je lui demande pourquoi il est parti, il me répond avec pudeur : « Ce n’était pas mon truc tout simplement. ».
Moi, ce qui m’intéressait, c’était de découvrir ce qu’un avocat ressent quand il tient la vie, voire le destin de quelqu’un entre ses mains, coupable ou non. Alors nous discutons de sa carrière, de ses expériences…
François Drageon est avocat au barreau de La Rochelle-Rochefort. Membre de l’Ordre des Avocats, puis Bâtonnier de l’Ordre il y a quelques années, il est devenu Administrateur de la CARPA (Caisse Autonome des Règlements Pécuniaires des Avocats). Il en a pris la présidence depuis une année. Il a d’ailleurs travaillé à la fusion des barreaux de La Rochelle et de Rochefort, puis à celui de la CARPA Rochefort-La Rochelle avec Bordeaux, Libourne, Bergerac et Angoulême.
Homme de pouvoir à 56 ans, il est un curieux mélange : charismatique, humble, humain, solide, impitoyable, altruiste. Autant de qualificatifs opposés qui semblent étrangement associés les uns aux autres. Et pourtant… Ils sont tous adaptés à sa personnalité. Il aurait fort bien pu être, un de ces orateurs qui enseignaient tels Socrate ou Platon. Et si vous suivez son profil Facebook, vous découvrirez qu’il aurait pu tout aussi bien être Shakespeare ou Victor Hugo devant ses envolées lyriques aussi captivantes que percutantes !
François Drageon plaide des affaires en droit commercial, prudhommal et pénal : une entreprise qui ferme ses portes en liquidation judiciaire, le licenciement d’un salarié, un divorce ou un crime… Tant de dossiers qui amènent les avocats à s’interroger.
« Je n’ai pas de questionnement égotique, même si je l’ai eu quand j’étais plus jeune, au début… J’occupe une place nécessaire, et j’occupe cette place humblement. Il faut réfléchir à cette place parfois. Je plaide durement, c’est vrai. Pas pour faire du mal, mais pour obtenir un résultat. Parfois, la place qu’on occupe, c’est aider à comprendre la sanction, et faire accepter cette peine. »
Tant de drames qui se jouent et se dénouent dans l’incompréhension avec des tensions insensées car François m’explique qu’il y a une espèce de schisme entre la lecture du dossier qu’un avocat en fait et celle du client. Il y a toujours un décalage. C’est pour cela qu’il estime que l’objectif doit être déterminé très clairement. La fonction de l’avocat est de relativiser : « Ce qui n’est pas grave pour nous, est grave pour le client. On est le dernier barrage parfois ! Il faut avoir une réflexion permanente de notre place dans le système. Si l’on court après l’éloge et l’honoraire, c’est qu’on ne réfléchit pas. ».
Alors, je trouve qu’il ressemble de plus en plus à une espèce de Robin des Bois ascendant Marvel. Je meurs d’envie de savoir… Je n’y tiens plus, alors j’ose les questions qui me taraudent :
« – Vos clients sont parfois coupables ?
– Ça arrive qu’ils le soient, oui.
– Vous leur demandez s’ils le sont ?
– Non, je ne le demande jamais. Aux vues des pièces du dossier, je sais s’ils sont coupables. La question de la preuve est beaucoup plus simple en matière criminelle. Moins en matière économique. Epithélium, émetteurs, méthodes de prélèvement, etc…. La preuve reste en discussion. Les éléments sont de plus en plus objectifs. Mon job est de savoir si le parquet a la capacité de prouver la culpabilité de mon client.
– Y a-t-il des affaires que vous refusez ?
– Ce ne sont pas des affaires que je refuse, mais des clients que j’ai refusés, car je ne les respectais pas : prétentieux, cons, ou vulgaires… Il faut savoir refuser ! Je m’investis si je crois en eux. Il faut que mes clients me plaisent !
– Comment vit-on le fait que quelqu’un, dont on assure la défense, soit coupable ?
– Je n’ai pas d’empathie pour eux.
– Quand on est avocat, on défend souvent des délits ou des crimes choquants. Peut-on encore croire au bien après ça ?
– Il y a le bien et le mal… Le bien existe parce qu’il y a le mal. Ça gêne beaucoup les gens de ne pas le voir. La fréquentation du mal objectivise le bien. A titre personnel, j’ai une vision morale très claire. Je suis avocat, mais je ne suis pas avocat tout le temps. Je suis citoyen, père, mari, copain, etc… Je ne suis pas en sympathie avec mes criminels… »
Mais dans la vie d’un avocat, il y a quelqu’un qui est extrêmement important, et qui guide et peut changer la vision d’un juriste débutant : c’est son maître de stage ! Celui de François Drageon, Jean-Pierre Chantecaille, lui a appris à prendre de la distance, à être juste et mesuré. Il se rappelle d’un soir où il avait travaillé pendant des heures sur sa plaidoirie. Parfaite. Bien tournée, avec des jolis mots… Mais dure, terriblement dure. Alors, son mentor lui explique qu’il avait déjà gagné l’affaire (c’était un divorce), et que sa plaidoirie sera reprise dans le jugement du tribunal. Qu’un jour, lui explique-t-il, dans 10, 20 ou 30 ans, quelqu’un, peut-être un enfant au décès de la personne, trouvera ce jugement dans un tiroir de la famille, avec les mots terribles qu’il aura employés… Alors Jean-Pierre Chantecaille, lui a conseillé d’être factuel et juste, ni plus, ni moins. François a donc retravaillé sa plaidoirie. Depuis, il n’a jamais oublié ce conseil qui lui a beaucoup apporté, notamment quand il fut Bâtonnier de l’Ordre pendant 2 ans, pour l’exemplarité de cette fonction symbolique.
C’est aussi ce même conseil qui lui a permis d’avoir de jolis souvenirs, comme par exemple, des gens dans la rue, qui le reconnaissent parce qu’il les a défendus quelques années auparavant et qui sont contents de le voir. Parce que leur regard est important quand le dossier a compté pour lui.
« Ce que j’aime faire, c’est ce qui donne du sens à ma vie, et à celle de mes clients. Parfois, c’est juste une forme de réhumanisation … De sortir la tête haute. Ma fonction est de réinjecter une dose d’humanité. Parfois, c’est expliqué qu’il y a un « après », une survie, d’apaiser, de faire comprendre qu’il y a un lendemain. Tout dépend de la façon dont on le dit à l’audience, et dont on l’écrit ensuite. Il ne faut pas oublier qu’il y a des familles, des gens derrière tout ça ! ».
Evidemment, il y a aussi les mauvais côtés quelquefois. Ceux qui peuvent le faire douter quand il a le sentiment de ne pas avoir fait ce qu’il fallait : « Reconnaître qu’on a fait une connerie, qu’on n’a pas compris, qu’on n’a pas assez travaillé… Certains jours, on rentre et on n’est pas content de soi… » Ces moments sont terribles. C’est pour cela qu’il travaille beaucoup. Pour éviter la ou les failles. Il reste humain, et ça, c’est rassurant.
Tant que François se livre sur les sentiments profonds que lui inspirent son métier, ma dernière question sera pour lui demander ce qu’il conseille à ceux qui ont la chance d’avoir un rêve professionnel, du haut de son expérience de l’âme humaine. Il me répond alors :
« Un métier, c’est un mode de vie. Faire un choix et être bien dedans. Le travail ne doit pas être punitif, ni coercitif. Il faut exercer un métier qui donne l’impression d’être à sa place ! ».
Soudain, je comprends que le hasard de la vie qui a mené François sur les bancs de la Sorbone, lui a permis, sans le savoir, de réaliser son rêve, car lui est bien à sa place. Il n’y a aucun doute.
2 réflexions sur « La légende de François Drageon »
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Très bel article de mon conseil .
Merci beaucoup Luc ! Mais j’avoue qu’il est facile de faire un beau billet quand le sujet est fascinant 😉