Isabelle Autissier, du nord au sud…
« Combien faut-il de jours et de nuits pour oublier ce qui vous a fait vivre, ce qui vous a importé plus que tout ? Les événements passent sur moi et je suis devenue la pierre immobile qui se couvre peu à peu de ce lichen jaune vif. »
Fabuleux, intenses… Ces mots sont ceux du vibrant roman « L’amant de Patagonie » d’Isabelle Autissier. C’est l’histoire d’Emily, une femme déracinée de sa terre natale pour arriver en Patagonie en 1880. Elle tombe amoureuse d’un indien, en marge de la civilisation blanche. Sa passion, sa liberté, ses choix, jusqu’au drame…
Pour moi, comme pour beaucoup de personnes je pense, Isabelle Autissier est la première femme à avoir fait le tour du monde en solitaire lors du BOC Challenge en 91, cette navigatrice intrépide qui a fait le Cap Horn plusieurs fois. Point. Pourtant, elle est une femme bien plus complexe qu’il n’y paraît. C’est une femme aux multiples activités. Riche d’expériences et de talents, elle a su s’imposer dans un monde masculin sans brutalité ni affrontement. Elle a su conquérir le respect de tout un chacun en étant juste elle-même, car elle m’explique que les hommes et les femmes n’ont pas les mêmes atouts.
Isabelle Autissier, l’écrivaine
Ça serait réducteur de croire qu’Isabelle Autissier est uniquement navigatrice. Elle ne passe pas son temps à sillonner les océans, seule face aux imprévus, aux intempéries, aux avaries, à la solitude. Naviguer, c’est vivre le temps présent. Ressentir. Penser. Imaginer… C’est peut-être ça qui lui a permis de coucher des mots, les uns après les autres, de cette façon-là.
Son écriture s’est affinée lorsqu’elle livrait son témoignage en collaborant avec Antoine Séguillon, journaliste, Eric Coquerel, communicant spécialiste du monde politique, Erik Orsenna, écrivain et membre de l’Académie Française, ou encore Lionel Daudet, alpiniste écrivain. Mais c’est en écrivant seule, qu’à mon sens, elle prend toute sa dimension : « Soudain, seuls » (2015), « L’amant de Patagonie » (2012), « Seule la mer s’en souviendra » (2009), « Kerguelen » (2006).
Emouvante, elle écrit si bien, si précisément sur le ressenti. On ne peut deviner où est la réalité, le vécu et la fiction. Emouvante, c’est ce qui m’a le plus étonné venant justement d’une navigatrice, qui est forcément solide et faite en acier trempé pour être capable de faire en le tour du monde en solitaire. Mais ça, ce sont des préjugés… Je vous encourage vivement à la découvrir dans ses bouquins où les personnages sont parfois vulnérables, fragiles, juste humains…
Isabelle Autissier, la navigatrice
Organisée, directe, franche, cultivée, audacieuse, cette femme m’a toujours intrigué. Et pour cause : que se cache-t-il au fond des marins qui affrontent un gros temps, quand ils sont en plein milieu d’un océan déchainé et que peut-être, ils pensent leur dernière heure arrivée ? Quelle est sa plus grande peur encore aujourd’hui malgré son expérience ? Elle reste stoïque et me répond que son pire cauchemar serait qu’un de ses co-équipiers tombe par-dessus bord. Moi, la froussarde, je frémis devant sa réponse. Elle a peur pour les autres, pas pour elle. Je la prends pour une survivante, solide et fière amazone.
Je passe de la frayeur à son souvenir le plus marquant. Réponse qui me rassure et m’apaise pour la suite de l’interview : « Ma rencontre avec les mers du Sud, pour leur lumière, la plénitude qui s’en dégage, le bonheur… ». A n’en pas douter, c’est encore la preuve que la coriace Isabelle Autissier semble être quelqu’un de sensible, même si elle paraît inébranlable.
Si maintenant, elle ne navigue que deux mois par an, elle est néanmoins débordée. Il est loin le temps où elle démâte en 94 lors du BOC Challenge et où son bateau est détruit par une vague au sud de l’Australie.
Il est loin le temps où elle met au point la construction d’un 60 pieds pour participer au Vendée Globe de 96 grâce à Jean-Marie Finot, Architecte, au constructeur Marc Pinta et à son sponsor PRB (Produits de Revêtements du Bâtiment).
Il est loin le temps où dans cette même course, elle fait demi-tour pour essayer de retrouver Gerry Roufs perdu en pleine tempête. Sa balise Argos émettait toujours alors elle l’a cherché, cherché, cherché encore… Mais elle ne le trouvera pas et reprendra sa route après avoir couché son bateau plusieurs fois à cause des conditions extrêmes qu’elle rencontrera.
En 99, son bateau chavire et reste à l’envers pendant l’Around Alone (course en solitaire autour du monde). C’est Giovanni Soldini, un skipper, qui finalement viendra à son secours. En découlera probablement cette décision d’arrêter les courses en solitaire.
Côté activités !
Naviguer, c’est aussi manager une équipe avant, pendant, après les courses, gérer son stress, celui des autres, des conflits, recruter les bons co-équipiers, chercher des partenaires, des sponsors, gérer une entreprise. C’est un job qui demande moult compétences et tellement d’investissements dans tous les sens du terme. C’est comme ça qu’elle est devenue une femme aux multiples activités, parfois présente où l’on ne s’y attend pas.
Présidente de WWF France depuis 2009, l’engagement d’Isabelle Autissier fait d’elle, une femme d’action. Je vous rappelle que WWF est une ONG dédiée à la préservation des espaces et des espèces sauvages les plus menacées.
Ça ne lui suffit pas. Passionnée par la culture scientifique (elle a un diplôme d’ingénieur agronome) et par la biodiversité marine et des espaces littoraux, elle est Présidente de l’E.C.O.L.E. de la Mer, structure chargée de communiquer sur ses thèmes de prédilection en informant et en enseignant.
Son combat écologique s’étend à l’Agence Française de la biodiversité dont elle est administrateur. Combat primordial pour elle, car elle milite pour préserver ce qui est la passion de sa vie, les océans.
Elle se produit aussi sur scène avec un nouveau spectacle « Une nuit, la mer » et écrit pour les enfants. En 2017, elle publie « Zoé et les sardines ». Elle participe à des salons littéraires, préface des revues, est présente dans les médias et a fait de la radio pendant de longues années notamment à France Inter.
Et pour finir, sachez qu’elle partage son expérience de manager, de dirigeante. Elle donne des conférences au sein des entreprises où elle aborde la cohésion des équipes, le développement personnel, le montage de projets.
« L’aventure, c’est sortir de ses certitudes et accepter d’aller vers une réalité qui nous bouscule »
Quand j’interroge Isabelle sur le conseil qu’elle donnerait à quelqu’un qui a un rêve à réaliser, elle me répond sans ambages « On n’a rien sans rien ! ». La pugnacité semble être un maître mot dans ce domaine. Je ne peux m’empêcher de penser que cette femme qui a lutté contre les forces de la nature est une femme dans tout son être, bien accrochée aux réalités de la vie.
A la fin de l’interview, je reste pensive. Je suis encore plus admirative devant son incroyable parcours. Je suis heureuse d’avoir pu discuter avec cette amazone. Elle se préoccupe tant des autres et de notre avenir sur la Belle Bleue dont les ressources et l’immensité pourraient bien se tarir si nous n’y prenons pas garde. Un peu abasourdie par cet échange, Isabelle Autissier me fait penser à ce qu’Ernest Hemingway avait dit au New Yorker en 1950 et qui est toujours d’actualité : « Le temps est la plus petite chose dont nous disposons ».