A force d’entendre, voire d’utiliser cette expression, passée dans le langage courant depuis la fin du XVIIIe s., j’avais envie un jour de voir à quoi ressemblait réellement ce pays du bout du monde, dont j’avais tant rêvé enfant, alors que, passionné par le dessin animé ‘Les mystérieuses citées d’or’, je m’imaginais emboîter le pas de Esteban et Zia, les jeunes héros de la série.
Quelques années plus tard, je me plongeais dans l’épopée de Thor Heyerdahl, ce Norvégien un peu fou diront certains, qui voulut prouver que des hommes, dans des temps immémoriaux, avaient traversé le Pacifique d’Est en Ouest sur des radeaux en balsa. Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, Heyerdahl et son équipe rallièrent donc la Polynésie Française en étant partis… du Pérou déjà. Le pays se rappelait à mon bon souvenir.
Pourtant ce n’est qu’il y a un peu plus d’un an que je partis enfin à la découverte de cette contrée de montagnes vertigineuses et de plaines fluviales gigantesques, accolées au plus grand océan de la planète.
C’est pas le Pérou… ce sont les Pérou, car s’il y a une chose incroyable à retenir sur ce pays grand comme deux fois la France, c’est sa diversité : diversité de lieux et de paysages, diversité de climats, mais aussi diversité incroyable au sein même de la population.
Lors de mon séjour, qui dura environ deux semaines, je ne pus tout visiter bien sûr, mais je peux vous garantir, que je n’ai qu’une envie, c’est d’y retourner pour en apprendre encore plus. Oui, le Pérou est un pays absolument fascinant et qui, lorsque vous croquez dedans, vous contamine immédiatement.
Il n’y a pas trente-six façons de pénétrer au coeur de l’ancien empire des Incas et Lima, la capitale, est un passage quasi obligé lorsqu’on arrive d’Europe par voie aérienne. Coincée entre l’immense Pacifique et l’impressionnante cordillère des Andes, la ville, dans laquelle se pressent près de 10 millions d’habitants, est le centre économique et politique du pays. Baignée de douceur malgré un climat semi-désertique, les températures oscillant entre 17 et 22°C tout au long de l’année, Lima est une véritable fourmilière dans laquelle les embouteillages sont intégrées dans le paysage urbain. Faisant le grand écart entre mer et montagne, skyline moderne et quartier au parfum colonial désuet, richesse et pauvreté extrême, la cité possède une infinité de visages qu’une vie ne suffirait sans doute pas à décrire.
Mon Pérou, celui que j’ai découvert, et je le redis je n’en ai vu qu’un petit morceau, est divisé en deux : la haute montagne d’un côté et le bassin amazonien de l’autre. Bien sûr ils sont intimement liés par l’Amazone, ce fleuve majestueux et immense, qui prend sa source dans les Andes, puis étend son réseau hydrographique sur plus de sept mille kilomètres jusqu’au Brésil. Evidemment on peut trouver des points communs entre ces deux régions au caractère si affirmé.
Pourtant pendant deux semaines j’eus le sentiment de pénétrer successivement deux mondes diamétralement opposés. D’un côté la hauteur, les cimes qui tutoient les Dieux, des populations tout droit sorties des aventures de Tintin et du temple du Soleil, les chapeaux ronds des femmes sur les marchés…, de l’autre, une forêt impénétrable à perte de vue, une rivière, devenant fleuve, puis mer intérieure, et des communautés indigènes, peuples des forêts, dont l’univers vrombit du vol des moustiques au milieu d’une chaleur moite pénétrante qui vous liquéfie au moindre mouvement.
Lors de la première étape de mon périple, je partis à l’assaut de la cordillère des Andes, ce cordon de montagnes qui serpentent tout le long de l’Amérique du sud comme une véritable colonne vertébrale et qui culmine, au Pérou, à plus de 6 700m (mont Huascarán). A Ayacucho, ma première vraie étape péruvienne, à plus de 2 700 mètres d’altitude, je ressentis les premiers effets de la raréfaction de l’air. Le phénomène s’accentue encore lorsqu’on approche de Chuschi, une petite bourgade à quelques heures de routes de Ayacucho, qui s’accroche à la montagne à plus de 3 500 m au dessus du niveau de la mer. Malgré l’altitude et sans doute à cause de la latitude, en ce mois de janvier, point de neige, mais une température clémente et des nuances de vert, d’ocre et de bleu à l’infini. Majestueuse est peut-être l’adjectif qui décrit le mieux cette région du globe, quoique, il est encore faible comparé à l’incroyable nature qui se déploie sous vos yeux. Tout y est démesuré, hors échelle humaine.
Chuschi ne fut pas toujours le village accueillant que je visitai puisqu’il fut au coeur de ce ‘Sentier Lumineux’ de triste réputation, qui dans les années 1980 et 1990 fit plus de 70 000 morts au Pérou. En découvrant la beauté des lieux, autour de Ayacucho et Chuschi, j’eus une fois de plus beaucoup de mal à comprendre ce qui peut pousser les hommes à s’entretuer, alors que la vie est déjà assez difficile et que l’union devrait, pourrait, faire la force. Nature humaine contre nature tout court, voici un combat bien navrant.
C’est un peu plus en bordure de la Cordillère, avant que les pentes vertigineuses ne plongent vers le bassin amazonien, mais toujours perchée au dessus des nuages, que se niche une autre ville majeure de l’empire Inca. Il s’agit de Cusco qui en fut la capitale. Si j’avais quitté Ayacucho les yeux débordants d’images de paysages indomptables, de visages burinés par le soleil et l’altitude, et l’esprit perturbé par les affres des guerres passées, à Cusco je pus approcher ce qui pour moi fait partie des merveilles de l’humanité.
En premier lieu, le site de Saqsaywaman, au-dessus de la ville, est une ancienne forteresse en forme de tête de puma. Si je n’ai pas réellement vu l’animal sacré, j’ai pu admirer les empilements de pierres taillées au millimètre et dont les centaines de tonnes paraissent s’emboiter à la perfection. C’est purement hallucinant. Quelques heures de voiture et de train plus loin, j’arrivai dans un de ces sites incroyables dont les images sont si connues, mais qu’il faut avoir vu au moins une fois dans sa vie : le Machu Picchu.
Pressé par le temps, je ne pu malheureusement faire l’ascension à pied vers la ville sacrée et je dus me contenter des petits bus qui font la navette toute la journée telle une noria de fourmis travailleuses. Mais quelle merveille ! Quelle impression ! Parfois la folie des hommes peut aussi engendrer des miracle architecturaux à la beauté incomparable. C’est certain, le Machu Picchu est un des site les plus touristiques au monde, mais comment en serait-il autrement ? Il n’en reste pas moins vrai qu’il vaut le détour, une fois, dix fois, cent fois.
Il faut aussi dire que La Cordillère des Andes a un pouvoir d’attraction démesuré grâce à ses habitants. Les visages, les regards, les peaux tannées, les silhouettes surgies d’un autre temps, les couleurs des costumes qui ne sont pas que du folklore, les marchés où la vie explose en mille et une senteurs… sont autant de rencontres qui frisent la magie. A cela se rajoute une variété de plats cuisinés qui entre dans le panthéon de ma gastronomie mondiale.
Après cette première phase de découverte de ce pays fascinant, mon autre Pérou est véritablement un autre monde. Afin de rejoindre Iquitos, il faut repasser par Lima et sa trépidante frénésie, pour reprendre un avion vers Iquitos. Il s’agit en effet de la seule grande ville au monde qui n’est joignable que par voie aérienne ou fluviale. Perdue au milieu de la forêt, elle est nichée à la confluence de trois rivières, l’Amazone, la Nanay et l’Itaya. Une île peuplée de près de 400 000 habitants au milieu d’une île de verdure, Iquitos est la quintessence de l’isolement. Pourtant, au milieu de nulle part, le vie s’est regroupée et développée à la croisée de ces chemins liquides.
L’Océan est bien loin, mais l’ambiance de la ville est celle d’un port en ébullition, avec ses pirogues et ses bateaux, son commerce et son troc institués en culture locale, ses bars et ses restaurants bruyants, son animation permanentes, ses gueules patibulaires avinées par l’alcool, ses hurluberlus imbibés d’Ayahuasca en quête de chamanisme ou encore ses prostituées et leur rabatteurs à peine prépubères.
J’ai aimé me lever à l’aurore pour voir la respiration de la forêt, dont le poumon se vide et se remplit dans un cycle immuable. J’ai encore plus aimé attendre la fin du jour pour voir le soleil se perdre dans un océan émeraude. J’ai adoré naviguer sur l’Amazone, et me sentir envahi par les esprits des milliers de Dieux qui ont trouvé refuge sous la canopée impénétrable. Je me suis pris des sceaux d’eau sur la tête quand la chape de plomb qui recouvre l’Amazonie avait décidée de se déchirer. J’ai été bombardé par des millions de moustiques avide de mon sang d’Européen. Nouveau goût ! Je me suis goinfré de Juane, Ceviche, Tacacho, Cenina et j’en oublie.
Je me suis noyé dans les yeux de ses enfants des bois qui semblaient perdus dans ce monde moderne grouillant à mille lieues des forêt de leurs ancêtres. J’ai vu la pauvreté des communautés recluses, à des heures de pirogue, dont les maisons sont faites de tôle ondulée et de quelques piquets de bois au-dessus d’un sol en terre battue et rebattue. Mais j’ai aussi pu constater que le bonheur était ailleurs, dans la joie d’être ensemble, dans l’idée du partage, même ce que l’on a pas.
J’ai vécu tout cela et bien plus encore pendant les quelques jours que j’ai passés en Amazonie péruvienne. Je me suis imaginé m’enfoncer dans le labyrinthe de cette forêt à la fois dangereuse et enchantée à la rencontre de peuples oubliés. Mais dans le même instant, je me suis dit que non. S’ils ont vécu depuis la nuit des temps isolés au coeur de la ‘Selva’ comme on l’appelle ici, il doivent le rester car j’aurais trop peur de mettre en péril un fragile équilibre.
Voici le Pérou ; ce Pérou qui m’a littéralement ouvert les bras et m’a accueilli dans toutes sa diversité et sa complexité et qui s’est dévoilé sans détour et avec passion. C’est pas le Pérou, mais si !
Nicolas Messner voyage 250 jours/an depuis une vingtaine d’années. Ancien athlète de haut niveau, directeur de « Judo pour la Paix » et photographe, il a fait le tour du monde plusieurs fois. Il nous racontera ses étourdissantes escales…
Rédigé par : Nicolas Messner - http://www.nicolas-messner.com