Didier Quentin, Chirac et les autres
L’année dernière lorsque j’ai préparé un reportage pour connaître les motivations des personnes qui se présentaient aux élections en tant que Maire (Maires et fiers(es) de l’être !), j’ai préparé naturellement mes entretiens. J’ai eu quelques surprises. Certains avaient des passés surprenants. C’est le cas de Didier Quentin, Député-Maire de la ville de Royan. Il a participé, à bien des égards, à notre histoire contemporaine. Je vous raconte comment tout a commencé pour lui :
Didier Quentin est licencié de Lettres et de Droit, ce qui lui a permis d’intégrer Science Po dont il est sorti diplômé en 1968, et puis il y a eu l’ENA pendant 4 années.
Parcours normal pour lui quand il me raconte le début de sa carrière. Moi, je suis fascinée. Je découvre qu’il assistait à des « conférences de méthodes » à Science Po données par Jacques Chirac entre 1965 à 1967. Les conférences de méthodes sont associées au cours magistral. Elles se déroulent en parallèle des cours, mais en petit comité puisqu’il n’y a pas plus d’une vingtaine d’étudiants. Le maître de conférences devient alors l’interlocuteur privilégié de l’étudiant.
Mais Didier a aussi eu d’autres professeurs et pas des moindres : Raymond Barre, économiste qui devenait vice-président de la commission européenne, chargé de l’économie et des finances pendant qu’il enseignait. René Rémond, historien et politologue. Pierre Racine, Cofondateur de l’ENA qui venait de travailler sur l’aménagement des plages du Roussillon et qui avait plaisir à citer André Malraux « je me méfie des messieurs je sais tout ». Raymond Aron, philosophe, politologue, historien, sociologue, ami de Jean-Paul Sartre et de Paul Nizan et journaliste qui disait lutter contre la sélection « des assignats universitaires » … Pour les plus connus…
Mais il faut avouer que dans les années 60 et 70, le monde allait vite après des années de guerre et de reconstruction. Les intellectuels, philosophes, écrivains, et politiciens donnaient vie à une nouvelle société, de nouveaux courants de pensée. C’est dans cette ambiance, dans cette mouvance que Didier Quentin terminait ses études.
Après l’ENA en 1974, il entre au service presse du Ministère des Affaires Etrangères où il travaille avec notamment Geoffroy de Courcel, secrétaire général du Quai d’Orsay et diplomate (cousin de Bernadette Chirac et compagnon du Général de Gaulle).
Et puis de 1975 à 1978, il y a eu l’ONU que tout le monde connaît. L’ONU et ses 41 000 salariés de 193 nations différentes qui sont chargés de faire respecter le droit international et les Droits de l’Homme, de gérer la sécurité mondiale, le progrès social et le développement économique. De 1975 à 1978, Didier travaille à New York dans la délégation française.
Pour imaginer les tensions qu’il peut y avoir à ce moment-là à l’ONU, je vous rappelle le contexte succinctement : il y a un nouvel ordre économique après la crise du pétrole. Les prix ont incroyablement augmenté. L’OPEP (l’Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole) est jeune. Sans oublier les conflits entre Israël et les pays arabes, la Guerre du Kippour, l’invasion de Chypre par la Turquie, et la chute du régime des colonels en Grèce. Nous sommes sur la fin du gouvernement de Georges Pompidou, début de celui de Valéry Giscard d’Estaing. Jacques Chirac est 1er Ministre. Le monde est en effervescence.
Didier précise que « C’était un travail de contacts et d’échanges ». Il assistait aux séances de travail, les analysait et transmettait ses rapports à Paris. Grandes responsabilités puisqu’il assistait aussi au Conseil de Sécurité entre la France, l’Angleterre, les USA, l’URSS (à l’époque) et la Chine. Il se souvient de certaines séances de travail avec Henry Kissinger, Prix Nobel de la Paix et Conseiller de la sécurité nationale des Etas Unis, ou lorsque Olof Palme, Chef du Gouvernement Suédois, a lu son discours et qu’il manquait une page, ou encore quand Idi Amin Dada, Président de la République d’Ouganda a commencé son discours anticolonialiste en africain pendant 3 ou 4 minutes, qu’il s’est tapé sur la poitrine avec de grands gestes, puis qu’il a poursuivi en anglais !
De 1979 à 1981, Didier Quentin va vivre trois années intenses au côté de Jean-Philippe Lecat, Ministre de la Culture et de la Communication où les dossiers qu’il traite sont ceux des sociétés de télévision (il avait déjà fait un stage à l’ORTF pendant ses études et maîtrisait parfaitement leur fonctionnement), de la radio, de la presse.
Puis il repart travailler aux Etats-Unis, mais cette fois-ci en tant que Consul Général de France à Houston entre 1981 et 1985. Un Consul est un agent officiel en pays étranger, chargé de protéger les personnes et les intérêts des ressortissants de son pays.
Didier me raconte alors une anecdote fort amusante : « En 80, les élus républicains américains par l’intermédiaire de l’Ambassade des USA avait contacté Mitterrand qui n’était pas encore Président et Chirac pour les rencontrer. Chirac avait accepté. Jimi Carter était Président. Chirac a eu un accident de la route verglacée et avait été transféré à l’hôpital Cochin à Paris. Le surlendemain, une délégation américaine se présente à Cochin pour voir Chirac, mais son entourage avait fait refusé les visites pour la journée. Le candidat américain se voit refusé l’accès à la chambre de Chirac avec un « No visit today ! No visit today ! ». Le candidat n’était autre que le futur président des Etats-Unis, Ronald Reagan et à chaque fois qu’il voyait Chirac, Reagan le taquinait en disant « No visit today ! No visit today ! » ». L’histoire est parfois faite par de petites histoires.
Les choses deviennent encore plus sérieuses pour Didier qui devient Conseiller diplomatique de Charles Pasqua en 1986, alors Ministre de l’Intérieur. Jacques Chirac est lui Premier Ministre. Un conseiller diplomatique est chargé de missions diplomatiques ponctuelles pour un Ministre en particulier, et donc rattaché à son Cabinet. C’est un poste de confiance. Didier Quentin s’occupait alors avec Charles Pasqua et Robert Pandraud, Ministre délégué à la Sécurité, des affaires terroristes.
C’est alors que Jacques Chirac est nommé Premier Ministre en 1986. Didier Quentin devient son Conseiller Diplomatique jusqu’en 1988 et le côtoie quotidiennement. Parallèlement, il est Directeur Général des relations internationales de la ville de Paris jusqu’en 1995. A cette époque, il s’occupe des relations avec la presse, voyage beaucoup avec Jacques Chirac (Rome, Tokyo, le Québec, l’Afrique…), et ne compte plus les nuits blanches quand Chirac perd les élections présidentielles de 1988.
De 1995 à 1997, Didier Quentin occupe les fonctions de Secrétaire Général de la Mer auprès du Premier Ministre (Alain Juppé) et est Ministre plénipotentiaire (grade le plus élevé de la carrière diplomatique). Il disposait des pleins pouvoirs pour accomplir ses missions jusqu’en 1997, année de son élection en tant que Député.
Sa vie politique locale commence en 1989 en devenant Conseiller Municipal de Royan, puis Vice-Président du Conseil Régional du Poitou-Charentes de 1992 à 1997 et Vice-Président du Conseil Général de 1994 à 2008.
Aujourd’hui, il m’explique qu’il y a des thèmes nouveaux qu’il n’y avait pas 40 ans auparavant. Même si en 74, il y avait déjà des problèmes d’énergie avec le pétrole, il faut se préoccuper des énergies nouvelles, de la démographie et de la place des femmes qui pour lui sont importantes.
« Le monde n’est plus bipolaire (USA et URSS) mais multipolaire (USA, Chine, Inde, Europe, etc…). Même si les guerres sont exclues, le monde ne sait plus où il va. Il y a donc encore beaucoup de travail pour les politiciens et les femmes et hommes d’état. »
Je ne peux tout de même pas quitter son bureau sans lui demander si dans sa vie, il a eu des regrets. Il me répond avec un grand sourire : « La vie politique est un sacerdoce. C’est très prenant. Se consacrer au service public, à l’accomplissement de ses mandats, être à la disposition des autres, d’une population, d’un territoire, demande du temps. J’y ai laissé un mariage. Je n’étais jamais à la maison et peut-être pas assez présent pour mes enfants. Aujourd’hui, je suis marié avec une femme qui fait aussi de la politique. Alors je vous dirai que je suis comblé car comme le disait Aimé Césaire « Je suis la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche ». ».