Burundi : C’est un pays, fallait qu’j’t’en parle !
« C’est un pays, fallait qu’j’t’en parl’
Car j’l’ai dans l’coeur comm’ tu crois pas
Quand j’suis pas d’dans c’est pas normal
A croir’ que l’mond’ n’existe pas… »
… Disait la chanson (Soldat Louis) qui faisait référence à ces lieux de bord de mer, bercés par les embruns et les déferlantes. Pourtant le pays dont je veux vous parler aujourd’hui est enclavé, sans aucun accès à l’océan, mais il est une perle accrochée au collier de mes souvenirs les plus émus. Ce pays, c’est le Burundi, perdu au milieu de la région des Grands Lacs d’Afrique et, depuis mon enfance, il m’a accompagné dans l’amour que j’ai pour ce continent unique.
Destination incongrue diront certains, violente pour les autres, folie pure pour les derniers. Je ne peux que m’opposer à ces jugements à l’emporte-pièce, alors que j’accepte et respecte que l’on me dise tout simplement: « Je ne connais pas, jamais entendu parlé, mais tu peux m’en dire plus ? »
On ne peut pas tout savoir, c’est un fait, mais si cela vous intéresse, alors suivez-moi et je vais vous raconter mon Burundi.
Mon premier contact avec le pays remonte au milieu des années 1980, 1986 pour être plus précis. Mon père, alors expert auprès de la Fédération Française de Judo, m’avait fait la promesse de m’emmener en Afrique noire, l’Afrique sub-saharienne comme on dit aujourd’hui. Ce sera donc le Burundi, où il allait régulièrement mener des missions de soutien au club de judo local qui était alors considéré comme un club français. A cette époque-là effectivement, il n’y avait pas de fédération sportive nationale, mais le judo étant bien implanté, la fédération française soutenait le développement du sport au Burundi, ainsi qu’au Rwanda ou encore au Zaïre (aujourd’hui la RDC).
Je débarquais donc au milieu de l’année 1986, du haut de mes treize ans et de mon ignorance totale pour cet endroit. Je garde de ce premier séjour des images, comme celle de la source la plus méridionale du Nil à plus de 2000 mètres d’altitude, ou encore des ‘crocos’ et des ‘hippos’ sur la rivière Ruzizi. Je garde avant tout des prénoms, Fabien, André, Pierre-Marie, Christian, Libère, Valéry… qui eurent tous des destinées différentes, parfois tragiques, mais qui sont restés gravés dans ma mémoire.
Ce qui est certain, c’est que ce séjour fut un révélateur et depuis que j’ai vu pour la première fois les rives du lac Tanganyika, je suis littéralement tombé amoureux de ces contrées lointaines et tout sauf inhospitalières.
Malheureusement depuis ces années d’insouciance, le Burundi a fait parlé de lui beaucoup plus tristement. Dans les années 90 il fut la proie de la terreur et devint le témoin, l’acteur et la victime de la folie des hommes. Des dizaines de milliers de personnes furent massacrées pour des raisons qui échappent à l’entendement, dans le dédain de la communauté internationale. Comme si un fléau ne suffisait pas, il fut également profondément meurtri par les années Sida qui firent des ravages au sein de la population.
Avec l’expérience de l’âge, je retournai finalement au Burundi au tout début des années 2000, en plein conflit civil, toujours avec mes parents et plus tard avec une bande de copains avec qui je partageais des valeurs humanistes, pour retrouver les amis qui étaient encore vivants. Leur nombre s’était réduit comme peau de chagrin, mais grâce au judo toujours, nous nous lançâmes corps et âmes dans un programme d’aide et de développement social. Entre 2000 et 2010 j’effectuais une quinzaine de séjours à Bujumbura et dans tout le pays et je peux affirmer que j’en appris à chaque fois un peu plus sur ce coeur vibrant de l’Afrique et son peuple adorable.
Au-delà des horreurs de la guerre, des attaques à la grenade, des couvre-feux, des massacres de grande ampleur ou encore de l’hécatombe des maladies dont j’ai pu observer certains stigmates, le Burundi est un territoire incroyablement magnifique. Bénéficiant d’un climat équatorial tempéré par l’altitude, il y fait ‘bon vivre’. Et s’il vous plait, ne me dites pas que cela est paradoxal. J’en suis convaincu et ce n’est pas parce que les hommes perdent parfois la raison, qu’il faut en tirer des conclusions hâtives, car …
… Il faut avoir vu les eaux bleues du lac Tanganyika, deuxième plus grand lac d’Afrique et troisième au monde ; leur pureté et leurs poissons succulents ne sont pas que légendaires. Il faut s’être promené au milieu des collines à l’intérieur du pays et avoir compris le rôle qu’elles jouent dans le château de carte social que constitue la société civile ; les myriades de verts et d’ocres constituant les paysages burundais sont autant de couleurs que l’on pensait inimaginables avant de les avoir vu se déployer sous ses yeux. Il faut avoir compris que la richesse du sol offre tout au long de l’année des récoltes abondantes aussi bien en céréales, qu’en fruits et légumes dodus et juteux. Les fraises de Bugarama sont un délice. Depuis les hauteurs de Bugarama justement, il faut avoir frissonné de peur en suivant de loin des cyclistes funambules qui descendent à tombeau ouvert la route qui serpente vers Bujumbura, leur montures d’acier chargées de dizaines de kilos de bananes.
Mais si j’ai évidemment un amour particulier pour le kaléidoscope des paysages burundais que je ne me lasse jamais de redécouvrir, l’attachement que j’ai pour les gens est difficilement descriptible. Enfant j’ai été accueilli comme un roi, adulte je suis devenu un ami, un frère. Je me suis senti adopté et j’ai même été baptisé avec un nom local par mes frères et mes soeurs africains. Pour eux je suis devenu ‘Mugisha’.
Jamais je ne me suis senti isolé au Burundi. Jamais je n’ai eu le sentiment d’abandon. Ce n’est pas parce que les gens n’ont rien, qu’ils ne sont pas prêts à tout vous donner. J’ai vécu de telles situations de partage tant de fois. Il s’agit sans doute de l’appanage de ceux qui savent encore attacher de l’importance à ce qui compte.
Ne nous y trompons pas, j’ai passé des jours et des nuits à essayer de comprendre l’âme du Burundi et je n’ai pas la prétention d’y être arrivé, mais ce que je peux garantir, c’est que l’on m’a ouvert les portes et les cœurs en grand.
J’ai assisté à des mariages, à des levées de deuil ou encore à des fêtes de famille au son des tambourinaires. J’ai partagé la tristesse de ceux qui restent lorsque les être chers s’en vont, mais aussi la joie immense de ces centaines de gamins qui vous fondent littéralement dessus lorsque vous vous arrêtez quelque part ; j’ai gravi les montagnes ; je me suis baigné dans les rivières ; j’ai mangé dans les plus petits restaurants, au fin fond des contrées les plus reculées, je suis descendu dans des mines d’or clandestines à la frontière avec le Rwanda ; j’ai chanté, guitare à la main, à Ngozi ; j’ai dansé sur des rythme africains jusqu’à plus soif ; j’ai été bouleversé par ma visite de l’hôpital de Gitega ; je me suis parfois heurté à l’incompréhension de nos différences culturelles, mais j’en suis toujours ressorti grandi.
Au cours de toutes ces années, j’ai appris à dire, ‘Comment allez-vous’ (Urakomeye?), ‘Quoi de neuf’ (Amakuru?) ‘Bonne nuit’ (Ijoro Ryiza), ‘Merci’ (Urakoze)… et surtout ‘AMAHORO’, la paix, qui a tant fait défaut à un pays dont le peuple à tant souffert. J’ai aussi pu rajouter un nombre incalculable de prénoms à la liste des personnes qui comptent dans ma vie et pour qui je voudrais, si je le pouvais, renverser les montagnes : Jean-Jacques, Anitha, Flora, Désiré, Faustin, Paterne, Grâce, Vianney, Davin, Rachel, Salvator, Vital, Nadia… Comme je ne voudrais en oublier aucun, j’aurai une pensée émue pour chacun d’entre eux au moment où je couche ces lignes.
Je ne peux conclure sans vous dire qu’il y a un mot, parmi tant d’autres que je retiens plus spécialement : TURIKUMWE. C’est ce que l’on se dit en se quittant, avant de partir en voyage. C’est une sorte d’au revoir. Mais c’est aussi une façon de dire, que même si physiquement on est loin les uns des autres, on reste en contact par l’esprit. Alors, j’espère que je vous ai donné envie d’en savoir un peu plus sur ce pays dont il fallait que je vous parle et d’ici là je vous dis TURIKUMWE.
Nicolas Messner voyage 250 jours/an depuis une vingtaine d’années. Ancien athlète de haut niveau, directeur de « Judo pour la Paix » et photographe, il a fait le tour du monde plusieurs fois. Il nous racontera ses étourdissantes escales…
Rédigé par : Nicolas Messner - http://www.nicolas-messner.com